Publié le 15 décembre 2015
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Le Front National et les fonctionnaires

Le Centre de recherches politiques de Sciences Po (.CEVIPOF.) vient de publier une étude sur l'implantation du Front National dans les trois fonctions publiques, implantation que les élections régionales viennent de confirmer. Cet ancrage..véritable «.changement qualitatif.»..doit se comprendre au regard des déceptions sur le long terme enregistrées autant auprès des gouvernements de droite que ceux de gauche, mais suit néanmoins les lignes d'une fracture sociale qui sépare les cadres des agents d'exécution.

Le CEVIPOF dépend de la Fondation nationale des sciences politiques et du CNRS.

Son étude (.que nous ne pouvons mettre en ligne intégralement pour des motifs liés aux droits d'auteur.) note d'emblée que le succès électoral du Front National à l'occasion des élections régionales qui viennent de se tenir «.se mesure aussi par un changement qualitatif qui le voit devenir l'un des trois partis préférés des fonctionnaires, un milieu qui lui a toujours été très hostile du fait d'un ancrage politique et historique à gauche comme du fait d'une sociologie particulière liée à la forte présence de diplômés et de surdiplômés.».

Luc Rouban, directeur de recherche au CNRS et auteur de l'étude, fait tout d'abord ressortir que les intentions de vote pour les listes du Front National lors des élections régionales de 2015 se montent à 24,6.% pour les salariés du public contre 29.% chez les salariés du privé, la moyenne nationale étant de 27,3.%. Au sein du secteur public, le taux le plus élevé d'intention de vote en faveur du FN se trouve dans la Fonction publique hospitalière (.FPH.) avec 26.%. Il est de 23,5.% dans la Fonction publique territoriale (.FPT.) et de 22,7.% dans la Fonction publique d'État.

Un décalage croissant entre les agents d'exécution et les cadres

Des clivages très nets sont cependant constatés entre les catégories A, B et C au sein de chacune des Fonctions publiques. Ils sont particulièrement importants dans la FPH pour la catégorie C, où les intentions de vote pour le Front National s'élèvent à 38,9.% contre 16,3.% pour les personnels de catégorie B et 17,9.% chez les cadres A. Pour l'auteur de l'étude, ces différences peuvent s'expliquer comme révélant «.un décalage croissant entre les agents de terrain au contact avec les usagers et les cadres devant assurer la gestion des services.». Ce décalage existe dans l'ensemble du secteur public mais il est plus sensible dans la FPH. Ainsi, dans la FPE, les intentions de vote FN sont de 33,6.% pour la catégorie C, de 29,8.% pour la catégorie B, et de 12.% pour la catégorie A. Pour la FPT, les chiffres sont les suivants : 26,7.% pour la catégorie C, 20,2.% pour la catégorie B et de 15,9.% pour les cadres A.

Autre clivage sensible : celui du métier exercé par les fonctionnaires. Il se manifeste de façon parfois caricaturale, puisque l'on enregistre par exemple 51,5.% d'intentions de vote en faveur du Front National chez les policiers et les militaires contre seulement 9,4.% chez les enseignants.

Le niveau de diplôme constitue un troisième clivage. La préférence pour le Front National est en effet, dans la FPH, de 43.% pour les agents ayant le niveau du baccalauréat contre 20.% pour ceux possédant un diplôme de l'enseignement supérieur. Les chiffres dans la FPE et la FPT sont également très significatifs : 34.% d'intentions de vote FN pour les personnes n'ayant pas dépassé le niveau du baccalauréat contre 16.% pour celles ayant un diplôme de l'enseignement supérieur.

Portrait-robot du fonctionnaire votant FN

Le portrait-robot du fonctionnaire ayant choisi le Front National pour les élections régionales de 2015 se dessine ainsi : c'est un homme ayant le niveau du baccalauréat, appartenant à la catégorie C, exerçant des fonctions de terrain au contact avec les usagers et ayant voté pour Nicolas Sarkozy lors de l'élection présidentielle de 2012.

Dans la Fonction publique, les hommes se déclarent favorables au FN à hauteur de 29.% contre 17.% chez les femmes. De tous les fonctionnaires choisissant le Front National en 2015, 58.% ont voté pour Nicolas Sarkozy et 25.% se sont abstenus ou ont voté blanc ou nul lors de la présidentielle de 2012.

Le CEVIPOF remarque également que le mouvement de conversion chez les fonctionnaires en faveur du Front National s'est sensiblement accéléré depuis l'arrivée de François Hollande à l'Élysée.. «.On peut parler d'un tournant historique mettant en évidence la crise profonde que traverse la Fonction publique.» souligne Luc Rouban, auteur de l'étude.

Pour lui, plusieurs clés d'explication peuvent être fournies par :  -  l'évolution de l'offre politique du FN qui défend désormais les services publics, «.tournant le dos à son ancien discours poujadiste.» ; -  le gel du point d'indice et la réduction régulière des effectifs, notamment dans la FPE, qui «.ont créé des tensions fortes à l'égard d'un gouvernement de gauche dont les fonctionnaires attendaient beaucoup.» ; -  les problèmes économiques puis les attentats terroristes commis à Paris le 13 novembre 2015, révélateurs de «.la faiblesse des moyens d'action de l'État.» ; -  le fait que la contestation sociale s'investit désormais moins dans l'action syndicale (.«.comme en témoigne le faible taux de participation aux élections professionnelles de décembre 2014.».) que dans le choix électoral ; -  le décalage entre les discours sur la République et la laïcité et les pratiques du terrain où les demandes communautaires se multiplient. De ce point de vue, on peut noter que, «.dans les trois fonctions publiques, 20.% des agents considèrent que les enfants d'immigrés nés en France ne sont pas des Français comme les autres et 50.% que l'Islam constitue une menace pour l'Occident.».

Luc Rouban estime ainsi que «.cette dimension politique éclaire d'un jour nouveau tous les projets de réforme de l'État, passés ou à venir dans la perspective de l'élection présidentielle de 2017.».

Photo  :  © Blandine Le Cain  –  Flickr (.sous contrat Creative Commons.)