Marquée par les terribles attentats de l'État Islamique commis à Paris les 7–9 janvier et 13.novembre et par l'importance grandissante du Front National au sein de la vie politique française, l'année qui vient de se terminer pose de nombreuses questions pour le futur de notre pays. Celles-ci touchent le fonctionnement de la démocratie et de l'État de droit, le terrorisme, l'évolution de la mondialisation économique et culturelle. Elles revêtent toutes un caractère essentiel et montrent les grandes difficultés qui vont se manifester pour 2016 et les années à venir.
De nombreuses analyses – souvent pertinentes – ont été faites concernant les attentats du début et de la fin de l'année dernière. Ceux-ci sont sans précédent en France (.à l'exception de l'attentat du 9 janvier visant l'Hyper Cacher de la porte de Vincennes, qui fait suite aux attentats de la rue Copernic et de la rue des Rosiers.). Pour la première fois, un journal a été presque entièrement décimé. Pour la première fois, des kamikazes ont actionné leurs ceintures d'explosifs. Pour la première fois, le nombre de victimes a malheureusement atteint un niveau extraordinairement élevé.
Les jeunes gens déclassés et manipulés par des fanatiques qui se sont livrés à ces tueries se réclament aujourd'hui de l'Islam comme ils auraient sans doute prétendu agir pour une autre cause en d'autres temps. Ainsi, les criminels d'Action Directe se targuaient d'appartenir au marxisme-léninisme dans les années 1980 . Les motivations délirantes de ces assassins parfaitement résumées dans le communiqué de l'État Islamique (.que notre site Internet a été l'un des rares médias à mettre intégralement en ligne.) ne représentent donc pas –.hélas !.– une nouveauté. Le nombre de tueurs potentiels est par contre impressionnant et constitue une nouvelle donne, puisque le gouvernement estimait au début de l'été qu'environ dix mille jeunes français ont rejoint au cours des dernières années les rangs de ce que l'on appelle les islamistes radicaux. C'est ce chiffre considérable qui pose une véritable question.
La France du 14 novembre 2015 a ressemblé en tous points aux États-Unis du 11.septembre 2001 par son hymne national sans cesse repris, ses drapeaux constamment agités, les déclarations martiales de ses dirigeants. La théorie du complot a également surgit sur Internet, voulant faire croire que les attentats ont été organisés par le Gouvernement. Certaines personnes qui s'étaient étonnées, voire moquées, des réactions américaines de l'automne 2001 n'ont pas hésité, quatorze ans plus tard, à mettre en ligne sur leur page Facebook le filtre tricolore proposé par le réseau social. Et la même question s'est posée des deux côtés de l'Atlantique : comment une démocratie doit-elle répondre à des actions terroristes menées sur son territoire sans renier les valeurs qui constituent ses bases ?..Des juges administratifs ont, dans une tribune mise en ligne par Mediapart, posé des questions donnant matière à réflexion sur l'état d'urgence que l'Éxécutif veut inscrire dans la Constitution, au niveau notamment des pouvoirs de contrôle du juge administratif, de l'équilibre entre ordre public et libertés publiques, et de l'utilisation que des forces autoritaires accédant aux fonctions suprêmes pourraient faire d'un tel outil.
> Lire l'article : “ État d'urgence : des juges administratifs appellent à la prudence.” (.Mediapart – 29 décembre 2015.)Le Front National a, quant à lui, confirmé son importance lors des élections régionales de décembre en obtenant au second tour 6.820.447 voix (.son précédent record, atteint lors du premier tour de l'élection présidentielle de 2012 était de 6.421.426 voix ). La crise économique, les peurs suscitées par la mondialisation et le brassage des cultures qu'elle opère, ont largement permis à un groupuscule d'extrême droite fondé en 1972 de devenir l'un des principaux partis politiques français. Mais l'incapacité des gouvernements de droite et de gauche à lutter contre le chômage comme à expliquer et mettre en perspective les profondes mutations qui touchent notre société a été déterminante dans le succès du FN. La question de savoir si Marine Le Pen peut être élue Présidente de la République au printemps 2017 a été et sera de plus en plus posée. Au vu des chiffres, cette éventualité paraît actuellement peu probable. Le Président de la Ve République le plus mal élu à ce jour a été Georges Pompidou en 1969 avec 11.064.371 voix. On voit ainsi que la Présidente du Front National devrait obtenir dans les 17 mois qui viennent au minimum 4.250.000 voix supplémentaires par rapport aux suffrages remportés par son parti lors des dernières élections régionales pour espérer l'emporter, nombre de voix considérable qui semble constituer pour elle un fossé infranchissable. Ce d'autant plus, comme on a pu le constater lors du dernier scrutin régional, que la mobilisation des électeurs joue contre le FN dès que celui-ci semble en mesure de gagner une élection importante et que le transfert des voix au second tour de la gauche vers la droite s'opère très bien (.un transfert des voix de la droite vers la gauche étant peut-être plus problématique.). Le Front National serait alors condamné à demeurer un parti politique protestataire remplissant une fonction tribunitienne, comme le Parti Communiste Français l'a été des débuts de la guerre froide jusqu'en 1981. Cette comparaison trouve malgré tout ses limites, puisque les fondements idéologiques du FN et du PCF sont radicalement opposés et que le Parti Communiste a toujours possédé de solides structures que le Front National aura beaucoup de mal à avoir. Les atouts du FN demeurent cependant, du point de vue de son implantation territoriale (.il est désormais le seul parti à avoir des représentants dans tous les conseils régionaux de la France métropolitaine.) et dans sa capacité à structurer le débat politique et idéologique (.ce que le sociologue marxiste Antonio Gramsci appelait “.la société civile.”.).
N'oublions pas toutefois que, même si les forces restent stables, les lignes peuvent néanmoins bouger du fait d'éléments et d'évènements aujourd'hui imprévisibles. Et, comme le disait fort justement l'ancien Premier ministre britannique Harold Wilson : «.Une semaine est parfois un temps long en politique.».