C'est une note bien amusante et très révélatrice que la Secrétaire Générale de la Mairie de Paris a adressée le 1er février aux Directrices et Directeurs de la Ville à propos du lancement « de la démarche Valeurs ». Amusante car rédigée de façon hautement caricaturale dans le style pompeux et creux qu'affectionnent tant les cabinets d'audit. Révélatrice car montrant de nouveau la volonté persistante des dirigeant(e)s actuel(le)s de la Mairie d'utiliser un mode de communication faussement branché se situant aux antipodes du vécu quotidien des personnels.
Le Littré définit le verbiage comme une « abondance de paroles et une absence d'idées ». On ne saurait mieux dire en lisant la note du 1er février 2012 que la Secrétaire Générale de la Mairie de Paris a osé adresser à « Mesdames et Messieurs les Directrices et Directeurs », note indiquant comme objet « lancement de la démarche Valeurs à la Ville » et qui ne déparerait pas dans les expressions chères à Trissotin, le célèbre personnage des Femmes Savantes de Molière.
Dès le début, il est facile de se rendre compte que la clarté et la simplicité ne vont à l'évidence pas faire partie desdites valeurs :
« Il s'agit de formaliser, d'une part, ce que nous souhaitons être (notre ambition collective) et, d'autre part, nos valeurs communes, qui sont autant de leviers nous permettant de mettre en œuvre pleinement nos missions et d'atteindre nos ambitions. Au-delà de se redire ce qui nous réunit, l'enjeu ultime sera l'appropriation par tous de ce référentiel et ce afin de faire évoluer notre culture et nos pratiques internes ».
Les fonctionnaires municipaux croyaient jusqu'à présent que les valeurs de la Mairie de Paris étaient tout simplement (tout bêtement ?) celles du service public. Cela n'est pas aussi simple apparemment, et les voila en train d'imaginer leurs Directrices et Directeurs actionnant des valeurs comme des leviers tout en se redisant (c'est la touche romantique) ce qui les réunit. “ Donnez moi un point d'appui, et je soulèverai le monde ” (Archimède)...
Mais poursuivons notre lecture. Une fois armés de ces fameux leviers, les cadres dirigeants de la Ville de Paris vont être associés à la démarche Valeurs pour « contribuer à la formation du référentiel valeurs et porter ce projet auprès [des] agents ». C'est alors qu'apparaît un nouvel instrument : la « plateforme identitaire » définie comme « notre ambition collective par rapport à nos missions ». Les choses prennent à ce moment un tour délicat. Brandissant leurs leviers sur une plateforme en se redisant tout ce qui les réunit, nos Directrices et Directeurs ne vont-ils pas finir par ressembler aux Shadoks, surtout s'ils sont dotés de l'incubateur-propagateur de l'innovation lancé en octobre par la DRH ?
Viennent ensuite quelques détails pratiques (?) où une série d'entretiens individuels et collectifs sont mentionnés ainsi que la mise en place d'une dizaine d'ateliers « réunissant au total 150 à 200 agents » et la création d'un forum sur IntraParis où « l'ensemble des agents de la Ville » seront appelés à réagir pendant l'été et l'automne 2012 (notre syndicat compte sur eux pour exprimer leurs réactions). Le vocabulaire très particulier du cabinet d'audit qui a visiblement rédigé en grande partie la note signée par la SG reprend à cette occasion tous ses droits puisqu'il est précisé qu' « après avoir stabilisé une formulation, une phase de test et d'illustrations de la plateforme identitaire et du référentiel valeurs sera organisée » en mai 2012.
La conclusion du projet est formulée de la manière suivante : « C'est alors que la phase d'appropriation interne de notre plateforme identitaire et de notre référentiel Valeurs débutera, il s'agira notamment de revisiter nos pratiques managériales et nos modes de fonctionnement de ces référentiels partagés ». C'est effectivement évident.
Que penser d'une telle prose ?
On peut en premier lieu s'interroger sur le coût de l'opération et, notamment, sur le montant des honoraires versés au Cabinet retenu pour cette « démarche Valeurs », au moment où il n'est question que d'austérité à la Mairie de Paris.
Il est également possible de conseiller à la Secrétaire Générale de la Ville de Paris de feuilleter de nouveau les livres de tous les bons auteurs qu'elle n'a pas manqué de lire lors de ses brillantes études avant de signer n'importe quoi, et notamment la réflexion (passée à la postérité) d'un certain Boileau-Despréaux, formulée dans L'Art Poétique (1674) :
“ Ce qui se conçoit bien s'énonce clairement, et les mots pour le dire arrivent aisément ”.
À moins que, pour terminer cet article, le Syndicat UNSA des attachés des administrations parisiennes ne se sente malheureusement obligé de faire appel à Beaumarchais :
“ Hâtons-nous de rire de tout, de peur d'avoir à en pleurer ”.